À propos de l'image poétique

Poética
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Ce n'est pas assez dire : le poète ne domestique pas seulement l'univers extérieur, il l'intériorise par la vertu des images pour leur conférer la puissance de figurer la vie affective et spirituelle. L'image remplit une fonction relationnelle qui, selon Paul Eluard, se ramène à deux types distincts, à deux démarches parallèles : « l'image par analogie » et « l'image par identification ». (...)

À propos de l'image poétique

Par : Honoré Champion

Études Baudelairiennes, vol. 13, 1991, pp. 7-13. JSTOR

 

Le terme d'image est souvent proscrit par les rhétoriques modernes et la critique contemporaine en raison de sa généralité imprécise, de son ambiguïté et de la pluralité du sens qu'il implique: d'une part il correspond à une «représentation mentale d'origine sensible» (Robert), à une vision intérieure de l'univers et de l'autre à l'expression d'un rapport de similitude.

Il sert à traduire toute relation analogique, à designer la métaphore par un phénomène de synonymie ou même à englober l'ensemble des figures. C'est pourquoi on lui a substitué le mot de figure, emprunté à la tradition de la rhétorique, encore qu'il se prête également à l'objection de la généralité. Nous conservons ici le terme d'image littéraire en tant que création de l'imagination, que représentation concrète du monde et rapport de type analogique, qui s'introduit dans le tissu de l’écriture poétique, selon l'approche de définition qu'en propose François Moreau : « L'image au sens stylistique est la représentation d'un rapport linguistique entre deux objets» 1. Ou peut-être convient-il de préférer la formule de Stephen Ullmann, qui pressente l'image comme « l'expression linguistique d'une analogie » 2. Si la notion d'image est dépourvue de pertinence scientifique, elle conserve le mérite d’être reliée au fonctionnement de l'imagination dont elle apparaît comme le produit immédiat ou volontaire, qui agit par sa charge affective sur la sensibilité du lecteur. Elle appartient au langage de la connotation, tout en demeurant en quête de l'analogie ou de l’identité. Puis elle revêt la valeur d'un terme générique, comprenant, dans le champ d'un parcours délibérément ouvert, diverses figures de rhétorique, celles qui expriment un rapport de similitude : la comparaison, la métaphore et l’allégorie, et celles qui expriment un rapport de contiguïté : la métonymie et la synecdoque.

Dans sa Rhétorique, Aristote établit que l'image repose sur le critère de la convenance, qu'elle résulte du principe de l'analogie et que, tout en étant utilisée dans la prose, elle est spécifique de l’écriture poétique. Il précise que « des images sont des métaphores », impliquant une explication, qu'il existe peu de disparité entre elles et qu'elles sont en quelque sorte associées par la synonymie.

L'image est aussi une métaphore, car il y a peu de différence entre elles. [ ... ]

Les images, aussi, [...] sont toujours, à certains égards, des métaphores appréciées ; car elles se tirent toujours de deux termes, comme la métaphore par analogie 3.

Le point de vue d'André Breton ne se différencie pas fondamentalement de celui d'Aristote, dans la mesure où il considère que les frontières sont mobiles entre l' image, la comparaison et la métaphore. Les distinctions que la rhétorique introduit entre les figures ne présentent guère d’intérêt, sinon au niveau formel. Les divers types d'images sont relies par une «commune vertu » qui est celle de l'analogie.

Au terme actuel des recherches poétiques il ne saurait être fait grand état de la distinction purement formelle qui a pu être établie entre la métaphore et la comparaison. Il reste que l'une et l'autre constituent le véhicule interchangeable de la pensée analogique et que si la première offre des ressources de fulgurance, la seconde [ ... ] présente de considérables avantages de suspension 4.

Quelles (sic) que soient sa forme et sa nature, l'image est le moteur de la « pensée analogique » et du langage de l'identité. Par sa puissance de suggestion elle suscite l’émotion et la rêverie, par son énergie et son ouverture elle projette l'imagination du lecteur vers un ailleurs. C'est pourquoi l'image est « sens à l’état naissant » et enrichit les possibilités de l'écriture.

Une image littéraire suffit parfois à nous transporter d'un univers dans un autre. C'est en cela que l'image littéraire apparaît comme la fonction la plus novatrice du langage 5.

Instrument connotatif, l'image constitue la substance mémé de la poésie et contribue à la dissocier de la prose par sa force d’évocation et par l’élargissement qu'elle impose au langage. Elle détient en elle les pouvoirs de la révélation 6.

L'image opère le rapprochement de deux objets plus ou moins lointains entre lesquels elle abolit la distance en recourant a l'analogie. Selon Pierre Reverdy, c'est la fonction de l'esprit de saisir les rapports et de créer l'image. Celle-ci répond à une double exigence : d' une part la distance et l'écart dans la confrontation des deux objets, de l'autre l'exactitude et la justesse dans l’établissement des rapports qui les unissent. C'est dans la fusion entre l’éloignement des termes et leur convenance réciproque que résident l'énergie propre de l'image, son originalité et l'intensité de sa valeur affective.

L'image est une création pure de l'esprit. Elle ne peut naître d'une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.

Plus les rapports des deux réalités rapprochées sont lointains et justes, plus l'image sera forte, plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique 7,

La violence du rapprochement est première, mais elle doit être soumise à l'exactitude et à la cohérence de la relation sémantique, qui suppose l'intervention de l'esprit. « L'excellence d'une image est dans la justesse des rapports qui la créent » 8. Toutefois, malgré cette ingérence de l'esprit, l'image ne doit pas être fabriquée, elle doit conserver sa spontanéité qui fonde son authenticité. « Il ne s'agit pas de faire une image, il faut qu'elle arrive sur ses propres ailes » 9, Mais dans « La Fonction poétique » Reverdy ira jusqu’à affirmer que la formation de l'image correspond à « Un acte d'attention volontaire ». C'est à ce rôle assigne à l'esprit et à la volonté, à ce critère de la justesse des rapports que ne peut se résoudre Andre Breton, lorsqu'il reprend la théorie de Reverdy dans le Manifeste du surréalisme dans le dessein de la corriger et de l'élargir en relation avec les expériences de l’écriture automatique. Pour lui, l'image ne saurait être « une création pure de l'esprit », mais le produit immédiat de l'imagination, elle naît d'une impulsion involontaire et résulte, non de quelque préméditation, mais d'un mouvement de libre invention. A la justesse, chère à Reverdy, Breton oppose l'arbitraire, qui fait que l'image provoque le choc et la surprise, qu'elle est une création spontanée qui se soustrait au contrôle de la raison et de l'esprit critique. « Pour moi, la plus forte [image] est celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé» 10. La visée la plus haute de la poésie est de confronter deux objets aussi distants que possible l'un de l'autre, de rapprocher deux réalités lointaines, qui n'entretiennent entre elles aucune relation logique.

C'est du rapprochement en quelque sorte fortuit de deux termes qu'a jailli une lumière particulière, lumière de l'image. à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l'image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs 11.

La naissance de l'image est antérieure à l’éclosion de la pensée, car elle plonge souvent ses racines dans les archétypes de l'inconscient. Ce n'est pas l'esprit qui invente les images, ce sont celles-ci qui gouvernent l'esprit, témoin du « phénomène lumineux » qu'elles produisent. L'image, en dépit des réserves légitimes qu'elle inspire, demeure un instrument sémantique, recouvrant une totalité, elle engendre une lumière réconciliatrice des identités contraires et surtout elle associe la réalité psychique à la réalité du langage. Aussi les poètes ont-ils pour la plupart persiste dans le recours à la terminologie traditionnelle, indépendamment des recherches récentes de la rhétorique.

L'image, qu'elle soit volontaire ou involontaire, contient une énergie psychique par laquelle elle se hisse au-delà du monde physique. Animée par son propre dynamisme, elle revêt une valeur ontologique et spirituelle. Elle est une projection de l'être dans l'espace, elle s'oriente dans le sens de l’élévation et aspire a engendrer un univers imaginaire par les pouvoirs d'une écriture nouvelle. « Toutes les images vraiment poétiques ont une allure d'opération spirituelle » , écrit Gaston Bachelard 12. Mais l'image est aussi l'instrument par lequel le poète apprivoise, humanise le monde et établit une communication entre les objets et les êtres. La spécificité de l'image poétique est de posséder une signification cosmique, d'instaurer une analogie entre l'homme et l'univers. « C'est grâce aux images que l'homme s'approprie le monde extérieur » 13. Ce n'est pas assez dire : le poète ne domestique pas seulement l'univers extérieur, il l'intériorise par la vertu des images pour leur conférer la puissance de figurer la vie affective et spirituelle. L'image remplit une fonction relationnelle qui, selon Paul Eluard, se ramène à deux types distincts, à deux démarches parallèles : « l'image par analogie » et « l'image par identification ». La première, en traduisant une ressemblance, se confond avec la comparaison ( « ceci est comme cela »), tandis que la seconde exprime une identité entre les deux termes compares et correspond à une métaphore (« ceci est cela ») 14. Qu'elle procède par analogie ou par identification, l'image est le moyen fondamental dont dispose le poète pour dire le rapport qu'il entretient avec l'univers. Elle traduit la substance de l’affectivité, favorise la naissance des idées et soutient l'architecture du poème. L'image est, comme le suggère Yvon Belaval, « l'aube du langage » 15. Elle réveille les virtualités de la parole, suscite l’émotion et la pensée grâce à l'effet de son rayonnement et de son expansion. Elle ranime la vigueur des mots en tant que force dynamique de l'écriture poétique. Elle est, jointe au rythme, la matière autour de laquelle s'organise la cohérence du poème. L'image apparaît comme une puissance génératrice, un pouvoir d'engendrement qui agit sur le verbe poétique par sa mobilité. Elle participe au réel et à l'imaginaire qu'elle réconcilie par son énergie synthétique. A travers son ouverture, sa cosmicité, l'image tend à s’élargir en symbole et en mythe, comme en témoigne l'image solaire, élue entre toutes les images par la pluralité de ses ressources sémantiques.█

NOTES

1 L'Image littéraire, SEDES, 1982, p. 12.

2 Cit. par Michel Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Larousse, 1973, p. 57.

3 Rhétorique, III, IV, I et III. XI, XI.

4 La Clé des champs, Le Sagittaire, 1953, p. 114.

5 Gaston Bachelard, L'Air et les songes, José Corti, 1943, pp. 283 et 284-285.

6 Gaston Bachelard s'est efforce de distinguer l'image de la métaphore pour valoriser la première et déprécier la seconde. L'image est un pur produit de l'imagination, un « phénomène d'être », un acte d'identification qui obéit à une démarche affective et irrationnelle, alors quc la métaphore est fabriquée, volontaire, elle est une opération intellectuelle qui repose sur la substitution d'un terme à un autre et sur un transfert du sens. Cf. en particulier La poétique de l'espace, P.U.F., 1957, pp. 79 et 80, ainsi que Pierre Caminade, Image et métaphore, Bordas, 1970, pp. 135 - 136.

7 Nous citons la version définitive du texte dans Le Gant de crin, Pion. 1927, p. 32.

8 Le livre de mon bord, Mercure de France, 1948, p. 156.

9 Le Gant de crin, p. 35.

10 Manifestes (sic) du surréalisme. Jean-Jacques Pauvert, 1962. p. 53.

11 Ibid., p. 52. Sur la conception de l'image et de l'imagination chez André Breton, voir notre étude « L'Art de bruler la chandelle par les deux bouts » dans Poésie et métamorphoses, Neuchâtel, la Baconnière, « Langages ». 1973, pp. 253-284.

12 L 'Air et les songes. p. 52.

13 Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, p. 152.

14 « Premières Vues anciennes » dans Donner à voir, Gallimard. 1939, p. 131.

15 La Recherche de la poésie, Gallimard. 1947. p. 104

 

SOURCE : "A PROPOS DE L'IMAGE POÉTIQUE'' Études Baudelairiennes, vol. 13, 1991, pp. 7-13. JSTOR,

www.jstor.org/stable/45074130. Accessed 21 Jan. 2021.

Études Baudelairiennes Vol. 13, LE SOLEIL DE LA POESIE: GAUTIER BAUDELAIRE RIMBAUD (1991 ), pp. 7-13 (7 pages) Published by: Honore Champion

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