Le terme « les intensifs » par référence au sens linguistique est aussi définit comme : « tout outil linguistique permettant de tendre vers la limite d’une notion ou de la dépasser ».
Introduction à l'étude de l'intensif
Haïm Vidal Sephiha
I. — Considérations générales.
A considérer l'ensemble des outils (formules, locutions, clichés, particules, etc...) que les langues utilisent pour renforcer et intensifier l'expression, l'esprit se perd. Je voudrais montrer qu'en interrogeant inlassablement les langues il est possible d'aller à l'essentiel et ainsi définir ce que j'appellerai d'un terme général l’INTENSIF. J'en présenterai quelques caractères généraux et passerai ensuite à l'étude d'une série intensive particulière qui, au départ, charrie une notion d'horreur, d'épouvanté, de douleur, de peur ou de tout cela à la fois.
A) Approche.
Il s'agit de la présentation d'un matériel de base puisé dans tous les registres des langues. Aucun n'est figé et c'est à pleines mains que le registre dit noble emprunte au registre populaire ou y puise. Je le classerai grossièrement selon des catégories et un ordre numérique encore arbitraires et montrerai que chaque exemple peut figurer sous un autre numéro et tout particulièrement sous le n° 2 sans préciser s'il s'agit de 2a, 2b, 2c, 2d ou 2e.
1. Violence, force, tranchant...
cingler (la réponse fut cinglante : par rapport à frapper 2) ;
décider (décisif et adv. : étym* trancher 2) ;
se raidir (25) (Elle est raide ! (27) = fort tendu : 8 et 2) ;
couper la parole ;
trancher sur le vif ;
En y allant un peu fort = sauf votre respect.
(ce dernier exemple pour montrer que la dynamique du système est à double sens) ;
Forcer (de force, forcément : fort !, fort de café ! (2 x 2)), et en vrac[1] :
violer, fracasser (déclaration fracassante) ; le châtiment de Dieu s'abat sur ;
rude (rudement) ; résolu (résolument) ; être violemment pour ou contre, etc...
2. Limites.
2a. Limite frisée.
A ras bord ; en avoir ras le bol ; en avoir jusque-là ! (2 -f- 27) ; friser la folie ; être sur le point de ; être à l'article de la mort ; avoir sur le bout de la langue (sur la pointe dit l'espagnol) ; être au bord des larmes ; tout près de pleurer ; être prêt à ; au millimètre près (et son renforcement, son propre dépassement) au millipoil près ; veillée d'armes ; imminence ; l'épée de Damoclès ; être à la dernière extrémité ; au bas mot ; ne pas arriver à, etc...
2b. Limite atteinte.
Assez ! (27) ; Suffit ! (27) ; Stop ! (1, 27 et emprunt) ; je n'en peux plus (6) ; au plus haut degré; au dernier degré ; au plus bas degré ; le nec plus ultra (étymologiquement : 'et pas plus outre'), etc...
2c. Limite dépassée.
En outre ; c'en est trop ! (trop + 27) ; déborder (débordante) ; exagérer (+ adv.) ; exténuer ; excès (à l'excès, excessivement) ; énorme (+ adv.) ; extraordinaire (-f adv.) ; suprême (+ adv.) ; transcender (transcendant, + adv.) ; c'est un peu gros ; plus ; très ; c'est étourdissant! ; ça nous dépasse ; tant et si bien que ; il est autrement scrupuleux (= bien plus) ; être en passe de ; mourir de rire ≠ joyeux à mourir (ici mourir est la limite en vue alors que dans le premier membre de l'inégalité c'est la limite dépassée : en fin de compte l'effet recherché est le même) ; désopilant ; saoul comme toute la Pologne (dépassement de « saoul comme un Polonais ») ; démesurément, etc...
2d. Limite surdépassée.
En avoir bien trop ou bien plus ; très très grand ; et tout et tout et tout ; oui oui, oui oui oui, Ou... ou... i... ! ; mort et enterré ; le super gros lot ; le roi des rois, etc...
2e. Limite refusée ou niée.
Sans fin ; infiniment ; à n'en plus finir ; éternellement ; sempiternellement (2d par pléonasme) ; sans limites ; illimité ; inaccessible ; impossible ! infranchissable, etc...
Remarques.
En y regardant de plus près on constate que ces cinq types de limites sont en fin de compte des dépassements. En effet, 2d est un dépassement de 2c, qui l'est de 2b, qui l'est de 2a, qui l'est de la norme ou de la moyenne comme l'est aussi 2e.
3. Unicité.
Sans égal (2) ; inégalé (2) ; exceptionnel (2) ; extraordinaire (2) ; unique (2 -f 27 : unique !) (l'exclamation en fait un dépassement de unique) ; prisunic (est « surrenforcé » par l'emprunt orthographique unie à l'anglais) ; il n'y en a qu'un, qu'un seul, qu'un seul et unique (et on pourrait allonger la chaîne en continuant d'en remettre), etc...
Remarques.
Singulariser et multiplier permettent de renforcer. Multiplier les efforts peut aboutir à la force, à la violence (1), à un point unique de violence (1 + 3) due à l'accumulation des efforts (6). Je me permets ces remarques, apparemment contradictoires, pour montrer combien ces diverses catégories restent arbitraires, sont imbriquées et peuvent retrouver leur place en (2).
4. Totalisants.
Pleinement (2 + 7) ; tout à fait (2 + 7) ; totalement (2 + 7) ; et tout et tout et tout (2 + 7) ; et tout le bataclan (2 + 7 + le renforcement dû au caractère onomatopéique de bataclan) ; globalement ; en gros ; en vrac, etc...
5. Points de comparaison, images, symboles.
Il parle /il crie /il hurle = série de (2)
foncer (2 de courir)
adorer (2 d'aimer)
arrêter /arrêter net = stopper /stopper net : série de (2)
et en vrac : flambant neuf ; bouche cousue ; un bourreau de travail ; à se décrocher la mâchoire ; hermétiquement ; à perdre haleine ; un froid de canard ; prestigieux ; prodigieux ; for intérieur (populairement senti comme fort) ; à tue-tête ; à gorge déployée ; à toutes jambes ; à coups redoublés ; faire table rase ; écorché vif ; honneur insigne ; invaincu, etc...
Remarques.
Il s'agit ici de la série la plus ouverte que l'invention peut enrichir sans discontinuer. En fait, le sujet parlant cherche un point de comparaison aussi tendu que possible et lui emprunte de sa force pour dire ce qu'il veut exprimer. Car, comme le dit le mot, il est sous pression, il est tendu. S'exprimer = sich ausdriicken en allemand (où est également présente la notion de ‘ pression ’, Druck, en allemand). En hébreu parler = dabbér est une forme dite intensive. Il faudrait poursuivre l'enquête dans d'autres langues et l'on ferait certainement des constatations semblables.
6. Abondance.
Masse (2) ; en masse, massivement (2) ; foisonner (2) ; à foison (2), et en vrac : à flots ; en quantité(s) ; une foule de ; une série de ; une chiée de ; à profusion ; à pleines mains ; à pleine bouche ; des tonnes de ; criblé de coups ; innombrable ; incommensurable ; en avoir à revendre ; en veux-tu en voilà ; à Г envi ; à gogo ; à qui mieux mieux, trop ; bien trop ; en surabondance ; surplus ; à en crever ; urgent (étym* pressant, cf. besoin pressant) ; force détails, etc...
Remarques.
Il va de soi que cette série pourrait par les images qu'elle charrie entrer presque entièrement dans la catégorie (5). En outre, qui dit abondance dit accumulation. On peut accumuler en pressant, en amassant, en entassant, en amoncelant, en empilant, en rangeant côte à côte et ce dans tous les sens et jusqu'à une certaine limite, celle de l'éclatement, de l'explosion, de la crevaison, etc.
7. Perfectifs.
Mener à bien = llevar a cabo (2) ; achever (2), et en vrac : un homme parfait, accompli ; mûrement réfléchi: rire tout son saoul: Fieffé (selon le Petit Larousse : qui a atteint le dernier degré d'un vice ou d'un défaut) ; fieffé coquin ; pâle fripouille ; exécuter (étym*) ; permanent ; persiflage ; persister ; performance ; de A à Z ; et le tour est joué ! ; exsangue, etc.
Remarques.
Achever implique aussi abondance d'efforts et limite à atteindre. C'est le sens figuré de fieffé qui s'est maintenu. Le sens figuré est un emprunt fait au sens propre.
8. Dématérialisés, type très, coton...
Très ; drôlement ; extra ; fanta ; à tout casser ; à tout berzingue ; énormément ; vachement ; beaucoup ; force détails ; fort ; bien ; j'ai beau ; marcher d'un bon pas ; un rhume carabiné ; un rhume je ne te dis que ça ! ; une débauche de ; une histoire trapue ; un demi bien tassé ; un meuble coton ; un récit maison ; monumental ! ; un as ; c'est champion ! ; c'est comme ça ! (accompagné du geste) ; un menton impossible ou impossible (selon la place de l'accent tonique) ; c'est épique ! ; c'est quelqu'un ou quequ'un ;
rois
le roi des <- vitriers = le plus grand des... ; je m'en fous royalement ; un
idiots signalé service, etc…
Remarques.
N'oublions pas qu'étymologiquement très dérivant de tra(n)s signifie déjà en soi un dépassement. Il en sera question dans le paragraphe consacré aux etymologies.
9. Négatifs.
Invaincu (2) ; indéracinable (2) ; et en vrac : illimité ; infiniment ; imperturbable ; du tout ; pas du tout ; nullement ; ne... pas, et étymologiquement la série ne... point, ne... goutte, ne... mie, ne... rien, etc...
Remarque.
Cette dernière série montre combien l'effort du sujet parlant est grand pour saisir la notion du néant, de l'inexistant inconcevable sans recourir à des choses concevables aussi petites soient-elles. La tension est grande (cf. remarques de 5 et 6). Il y a, en outre, renouvellement continu par emprunts de toutes sortes, ainsi, c'est pas bezef, dont le dernier terme est d'origine arabe et renforce la négation.
10. Locatifs.
De première (2) ; au dernier degré (2), et en vrac : c'est la crème de la société ; une huile ; un cacique ; une grosse légume ; un chef-d'oeuvre ; chef de file ; le roi des ; principal ; le coeur du problème ; problème qui le préoccupe au premier chef ; tout d'abord ; en premier lieu, etc…
Remarque.
Huile, cacique, etc., pourraient être rangés en (5).
11. Immédiateté.
D'emblée (2) ; sans crier gare (2), et en vrac : tout de suite ; aussitôt ; tout de go ; de but en blanc ; pris sur le vif ; toutes affaires cessantes ; au plus vite ; à l'instant ; à l'instant même ; sur-le-champ ; sans attendre ; immédiatement ; maintenant ; vite vite ; prestement ; presto ! ; illico presto ; sur l'heure, etc...
Remarques.
Catégorie particulièrement édifiante participant à la fois de (5), (26) et (2).
Presto est un emprunt, on le renforce par un second emprunt, illico, lequel se termine en о comme presto. C'est là un nouveau renforcement. En outre, on constate que cette notion d'emprunt est beaucoup trop limitée.
En effet, combien d'exemples se présentent dans cette dernière série pour exprimer l'immédiateté ! et chaque fois en empruntant au point de comparaison.
12. Déplacement de l'accent tonique.
Nous en avons vu un exemple en (8). Il est inutile d'allonger la liste. C'est là une de ces redondances dont il est souvent question. Y avoir recours, c'est transgresser la norme, la dépasser et par conséquent se placer dans la catégorie (2).
13. A noter.
Notoire (2 et 19) ; remarquable (remarquablement) ; digne d'être retenu ; fameux (fameusement) ; archiconnu ; bien connu ; considérable (considérablement), etc...
14. L'ininterrompu.
Tout d'une laisse ; tout d'une traite ; tout d'une tirade ; tout d'un jet ; d'un seul jet ; tout d'un trait ; d'une seule coulée ; sans interruption, etc...
Remarque.
On se situe dans chacun de ces cas au-delà de la discontinuité (2), en recourant à des images (5), auxquelles on emprunte leur spécificité.
15. Lenteur.
Au compte-gouttes = très lentement (2), et en vrac : c'est lent ! ; oh là là que c'est lent ! ; ça dure ! ; quelle lenteur ! ; on n'en finit pas ! ; on n'en voit pas la fin, le bout, longue durée, longue lononon...gue durée, etc...
16. Le temps, l'âge.
Toujours (étymt tous les jours) ; de tout temps, de tous temps ; l'aîné ; un seigneur (étymt plus âgé, seňor en esp. a parfois le sens de supérieurement de même aujourd'hui padre) ; à jamais ; à tout jamais ; éternellement ; sempiternel ; archi (étymt ' ancien ' et ' qui commande ', soit aussi ' de premier rang '), etc...
Remarque.
Il est intéressant de constater que archi est devenu un véritable instrument d'intensification. Pour ce faire, il a fallu lui emprunter sa valeur superlative et n'en retenir que celle-ci. Le préfixe ur- allemand (par exemple
Urväter, ‘ancêtres’), a été exploité dans le même sens. C'est ainsi que l'on entend maintenant urulkig pour wrkomisch (archicomique), et que l'on va même jusqu'à le contracter en urig.
17. Sens, directions.
Aux quatre vents ; partout ; à gauche et à droite, de gauche et de droite ; dans tous les sens ; de tous côtés ; de-ci de-là, par-ci par-là ; parsemer ; distribuer ; semer ; tous azimuts, etc.
Remarques.
Dans cette série on renforce en multipliant dans les deux dimensions, puis dans les trois, tous azimuts emprunté au langage scientifique est repris avec sa force de frappe par la publicité dont le langage constitue un terrain de choix pour le genre d'étude qui nous intéresse ici.
18. Extra-humain.
Immense (dépasse grand et vaste) ; gigantesque ; colossal ; fabuleusement ; hors de ; inimaginablement ; surhumain ; éblouissant ; insensé ; étonnant ; c'est fou ! ; ça nous dépasse, etc...
19. Mémorisation.
A retenir ; à souligner ; mémorable ; historique ! ; record (étymt), etc…
Remarque.
Cette catégorie recouvre en partie le numéro (13). C'est bien la preuve qu'il faut trouver d'autres critères.
20. L'emphase.
Moi je ; toi tu (et ainsi de suite pour toutes les parties du discours) ; ne plus ; non plus ; moi non plus (il y a ici une attirance des emphatiques moi et non) ; certes ! ; maintes ; il est si sage et doué d'une telle intelligence, etc…
Remarques.
Comme l'indique son étymologie, l'emphase explique, démontre, met l'accent sur ou souligne, bref, renforce et aboutit à un dépassement de la formule renforcée.
21. Le poids.
Une personne de poids ; d'importance (important) ; lourd de conséquence. Ainsi, de Gaulle dans son dernier discours radiodiffusé : « Françaises, Français, dans ce qu'il va advenir de la France, jamais la décision de chacune et de chacun de vous n'aura pesé aussi lourd » (je souligne) ; en hébreu Kavod, ‘honneur’ dérive d'une racine kaved qui signifie 'être lourd', etc...
22. Le dénombrement.
Faire les quatre cents coups ; mille et une choses ; trente-six fois, etc…
23. Intériorité.
Démultiplier ; dans le menu ; amphi bondé à craquer ; dans le ou les détail(s) ; grouiller ; fourmiller ; pulluler (étymt 'faire des petits ') et son correspondant esp. menudear, etc...
Remarques.
La terminaison en -ear de menudear est généralement considérée comme un fréquentatif qui n'est autre qu'un intensif. On constatera d'ailleurs que la plupart des néologismes espagnols actuels ou anciens notamment dans les parlers judéo-espagnols qui empruntent aux langues voisines, le turc en Turquie, l'arabe au Maroc, se terminent pour la plupart en -ear et sont sentis comme des intensifs. De même, en hébreu toute racine cuadrilatère empruntée est sentie comme un intensif et se vocalise comme celui-ci.
Ex. : LeTaRGeM, 'traduire'.
24. Le centre.
Occupation centrale (aussi centrale que possible, en tension vers ce point limite qu'est le centre) ; le nombril du monde ; le vif du sujet ; le cœur du problème ; le noeud de la question ; le noyau, etc...
Remarques.
Occuper une position centrale c'est également occuper un rang élevé, une des premières places, une place de choix, une place de marque, être une grosse légume, un notable, un homme de poids, un vache d'homme, et ainsi de suite en empruntant à chacune des catégories étudiées ici ou non faute de place.
25. Le réfléchi.
Se ronger (2 de ronger) ; se tirer la barbe ; s'arracher les poils de la barbe ; se raidir ; se tordre de rire ; se le dire, etc...
Remarques.
Le réfléchi implique une pluralité de sujets et d'objets ou le dédoublement du sujet en objet et sujet. П у a donc toujours pluralité, autre aspect de l'intensif et que l'hébreu manifeste clairement par sa sémiologie. C'est ainsi que le hitpa'el, forme réfléchie, emprunte sa vocalisation au pi'el, forme intensive (cf. remarques 5 et 23).
26. La répétition.
Il va de soi que la répétition renforce et dépasse de par sa nature même l'objet de la répétition. Mais les procédés sont multiples.
a. La répétition simple ou multiple.
Oui oui/oui oui oui ; zut et zut/zut, zut et zut ; c'est vrai, c'est vrai = c'est bien vrai ; trente-six fois ; mille et une fois ; fusil à répétition — repetidas veces (' bien des fois ' en esp.), etc...
b. Le réitératif re-.
Véritable instrument, ce réitératif peut s'accoler à la majorité des verbes français : réintégrer — remanger — se rasseoir — revoir, etc. En outre, comme le signalent Bloch et Wartburg dans leur Dictionnaire étymologique de la langue française (P.U.F., p. 536), ce préfixe re- peut exprimer une idée de renforcement ou une idée perfective (garder /regarder — lier/ relier : exemples cités par lesdits auteurs). Le re-, dit de renforcement, est attesté par des exemples tels que resserrer (Petit Larousse : serrer davantage... — Fig. Rendre plus étroit) ; les remous (emprunté au prov. et déverbal) ; renommer et ses dérivés renom, renommée, etc... Mais la valeur intensive de ce re- est bien plus fréquente en espagnol, où on en vient même à renforcer des adjectifs : bueno/rebueno (' bon '/ ' très bon ') et ce, très probablement grâce à l'intensité du phonème r- initial espagnol auquel a été empruntée son intensité pour en donner aux emprunteurs.
с. La répétition par réduplication.
Chouchou ; foufou ; chouchouter ; chichiteux ; concombre (étymt) — zizag, etc... et un autre groupe de ce type:
d. L'onomatopée.
Tic tac ; glouglou ; coucou, etc... Onomatopée de plus en plus exploitée par la publicité voire par la radio officielle (j'entendais l'autre jour le premier plouf du sous-marin atomique pour la première plongée).
Remarques.
Avec 26c et 26 d nous touchons au problème des hypocoristiques et des diminutifs /augmentatifs, qu'ils apparaissent dans des formes verbales, nominales adjectivales ou d'autres (cliquetis, ondoyer, bécoter, végéter, vivoter, etc...) que je classe également parmi les intensifs. Je compte en faire une étude détaillée prochainement. Qu'il suffise d'insister sur le caractère relatif de ces dénominations. En effet, l'effort du sujet parlant peut aller vers la saisie de la petitesse qualitative ou quantitative. La langue qui bricole à partir de ce qu'elle a à sa disposition — et c'est bien peu quand on y regarde de près — se renouvelle, systématise autant que possible et se trompe parfois d'aiguillage. Mais il y a toujours une logique interne dans ces erreurs. Ainsi, l'espagnol en seguidita (' tout tout de suite ') se comprend parfaitement quand on considère que le diminutif d'un temps très court ne peut être qu'une intensification de cette notion. De même, sous l'augmentif -on de raton (' souris ' alors que rat se dit rata) se cache le pullulement des souris, la masse dans le menu (cf. 23).
e. Figures de style.
Il faudrait également classer ici Fanaphore (Petit Larousse : répétition du même mot au début de phrases successives), les pléonasmes (aujourd'hui renforcé en au jour d'aujourd'hui où apparaît trois fois la notion de jour — sempiternel, né natif de, puntiagudo (esp. littéralement ' pointu-aigu '), creux à l'intérieur, voire même, etc.), la progression (net, propre, sans fard ; c'est un pic, c'est un roc, c'est un cap... — ), la paronomase (qui se ressemble s'assemble, qui vivra verra, en user et en abuser, châtier du châtiment de Dieu, qui a bu boira, etc.), l'hyperbole, la rime pauvre ou riche (sans foi ni loi, esp. sin oficio ni beneficio, etc.), et bien d'autres figures de style qu'il serait superflu de passer en revue ici. Ajoutons simplement que les mots dits explétifs (étymt, qui remplissent, complètent) en remettent également (on vous le prend, on vous l'assomme).
27. L'exclamation.
Dès l'étude du dépassement il a été question de ce type de renforcement. Il faudrait y ajouter l'interjection qui s'y associe souvent. Ça alors ! Oh la vache ! ; zut ! zut ! zut ! ; je ne vous dis que ça ! (affirmation renforcée).
A la limite, merde ! se substitue à zut et vient ponctuer tout le discours en ses jointures pour finalement prendre la place du « la » de la langue française. Euh ! euh... euh..., comment dirais-je? !
Cette série de catégories pourrait être considérablement allongée, les injures et les insultes y occuperaient une place de choix. Mais il est temps d'en tirer des enseignements et de définir l'intensif.
B. Conclusions.
Qu'y a-t-il de commun entre tous les éléments de cette collection dont il serait bon de compléter le catalogue ?
Il y a volonté plus ou moins bien exprimée d'en dire plus, de grossir, de gonfler (d'affaiblir, amoindrir, diminuer, et réduire un peu plus ou à l'extrême), d'ajouter, de multiplier, de charger, d'augmenter, d'insister, de souligner, de mettre l'accent sur (« surligner »), d'accroître, d'en remettre, de bourrer, de boursoufler, de « sur-réduire », d'en rajouter (en + ou en — ), de surmultiplier, de démultiplier, de surcharger, de renchérir, de faire rebondir, de renouveler, de singulariser en pluralisant et de pluraliser en singularisant, de renforcer et d'exagérer, et ce pour chacune des catégories ou qualités envisagées.
Il y a quantification et, pour ce faire, une tension extrême de la langue à la recherche de ses extrêmes qui ont en commun de l'être. D'où cette possibilité de ne retenir que l'extrémisme d'une catégorie déterminée pour renforcer, à la limite, n'importe quoi avec n'importe quoi. D'où aussi ces illogismes apparents qui font que le dernier puisse devenir le premier, un diminutif un augmentatif (et inversement, voire apparaître formellement côte à côte : saloncito, ratoncito) et que baisser un peu plus ou à l'extrême se traduit par surbaisser et sous-entendre par sobrentender (sur-entendre) en espagnol.
Il y a quantification, mais une quantification commune, non encore mathématique, une quantification qualitative se réduisant à trois positions : une limite, un avant et un après réversibles. C'est un système éminemment dynamique dont la limite peut être frisée (en deçà ou au-delà), peut être atteinte, sur le point d'être dépassée, dépassée ou surdépassée (dépassement dépassé). On dépasse par le haut ou par le bas, sur ou sous, sur et sous à la fois (on pourrait concevoir un pays sur-sous-développé comme on surbaisse), dans et hors de, dans la précision et dans le vague. C'est un système toujours en dépassement virtuel, toujours à la recherche de ses limites comme les sciences exactes. Dépasser c'est aussi emprunter. On prospecte les limites de tout. L'intouchable et l'inaccessible se font sacré- et archi-. Il est des chances pour que demain l'on dise c'est enzyme ! comme on dit extraordinaire, maison, champion ou coton. On transcende et l'on peut être transcendantalement idiot ou intelligent. On peut être au comble de mais aussi combler la cave de. Tout terme peut se dénaturer, se « dénotionnaliser », se dématérialiser, se dépasser en se grammaticalisant ou être en passe de se grammaticaliser. Il suffit qu'une brèche s'ouvre dans le système pour que s'y engouffrent de nouvelles possibilités et qu'y naissent de nouveaux degrés de liberté donnant lieu par exemple à des superlatifs du type de vachement. Si on n'y fait attention on s'y noie, tant les glissements de sens y sont fréquents et, de ce fait, les cartes brouillées. Mais la langue se défend, elle accepte, par exemple, invaincu mais rejette invictorieux tout comme elle accepte insolite et rejette solite. Il y a redressement à gauche, rectification à droite, redondance par-ci, bricolage par-là. La langue opère continuellement et toutes ses opérations sont accompagnées d'une tension intérieure.
С. Définition de l'intensif.
De tout ce qui précède nous pouvons définir comme intensif tout outil linguistique qui permet de tendre vers la limite d'une notion ou de la dépasser. L'intensif est chacun ou l'ensemble de ces outils et de ces moyens. On pourrait schématiser cette limite opérative comme suit :
champ opérationnel à double sens
<------------------------------------------------------------------------------------------------->
près de auprès de limitrophe bientôt sous peu adjacent contigu proche friser raser tangent frôler effleurer toucher aborder coudoyer jouxter etc |
AVANT |
TRÈS
|
APRÈS |
dès que dépassé
|
et inversement.
Remarques.
a) J'emprunte le mot intensif aux hébraïsants qui dénomment ainsi le pi'el, « conjugaison active de l'action intensive » (cf. le P. Paul Jotion S. J., Grammaire de l'hébreu biblique, Rome 1947, pp. 115-116, § 52).
b) J'insiste en outre sur la tension intérieure qui sous-tend toute parole et fait que l'on s'exprime souvent par l'inexprimable et l'indicible (cf. remarques 5, 6 et 9). Ne rien dire pour dire, telle est la grande invention des hommes.
c) L'intensif recouvre ainsi tout ce que l'on appelle de noms si divers (renforcement, emphase, uperlatif, expressivité, etc...) et si vaguement définis. J'en veux pour preuve Grévisse, qui dans son Bon Usage, p. 165, § 759, note 3, dit « à aimer, la langue familière par besoin d'une expressivité plus grande substitue fréquemment adorer ». Ce serait plus clair si l'on disait qu'adorer est l'intensif spécifique d'aimer ou, en essayant de systématiser, adorer = Is (aimer) à lire comme suit : adorer est l'intensif spécifique d'aimer tout comme x = f(y).
On aurait de même hurler = Is (crier), crier = Is (parler), s'époumonner = Is (s'écrier), river = Is (fixer), etc...
d) Chacune des catégories posées antérieurement peut être considérée comme une limite et retrouver sa place sous le n° 2.
e) Bien qu'ils appartiennent à diverses catégories grammaticales, les intensifs ont en commun leur force percutante qui résulte de leur dépassement virtuel ou réel.
f) Étant donné le dynamisme du système il se développe dans l'espace et dans le temps et se caractérise par un très grand relativisme. Tout dépend de l'endroit et du moment ou l'interception se fait.
C'est ainsi que stopper = Is (arrêter) (1)
que stopper = arrêter net (2)
que stopper net = Is (stopper) (3)
Stopper emprunte sa puissance à l'anglais to stop, puis s'identifie à (2). Mais en (3) la surcharge de net l'affaiblit. Il en résulte que (1) devient stopper = arrêter et qu'il se substitue à arrêter dans un contexte déterminé.
g) II y a usure, affaiblissement et recréation dans le temps. Ceci pose le problème de l'étymologie ou de la sémantique diachronique. Il convient d'en rappeler quelques exemples pour comprendre ce que parler veut dire et combien la langue se fait, se défait et se refait.
Étymologiquement :
TRÈS = tra(n)s, ' à travers ' avec son dépassement esp. tras = ' derrière '.
TÔT = ' grillé, rôti, brûlé ' selon Bloch et Wartburg a dû signifier d'abord « chaudement » « promptement ». Aujourd'hui la langue se renouvelle dans le même sens. Que l'on songe à ça sent le roussi, ça brûle, ça urge, ça va chauffer, il n'y a pas le feu ! ; de même le judéo-espagnol caler, ' falloir ' étymt ' chauffer ', il faut, ça chauffe.
SURTOUT, toujours (tous les jours), fréquent (nombreux).
JAMAIS = ‘ déjà plus '. Ne jamais ne s'utilisait que pour le futur à côté de ne onques pour le passé. On le renforce avec plus ou par son redoublement jamais au grand jamais. Il acquiert bientôt une force telle qu'il balaie tout le champ opérationnel dans ses deux sens et recouvre le passé en repoussant hors du système ce ne onques aujourd'hui vieilli mais qui, la mode et le snobisme aidant, pourrait retrouver vigueur et vie.
PRESQUE = ' pressé, tout contre, tout serré '. C'est là une notion très exploitée par les intensifs. Urgent lui-même = ' pressant '. Un besoin pressant. La pression précède l'éclatement elle est une poussée vers un seuil.
RÉUSSITE = ' double issue ', surdépassement.
RATO esp. = ť rapt, ravissement ' désigne l'instant le moment. C'est une vitesse limite qui ici est en vue. Songeons à sa traduction allemande Augenblick, littéralement coup d'oeil, et à ces expressions saisir d'un seul coup d'oeil, le temps d'un éclair, le temps de dire si, etc...
MULTI- dérive d'une racine MEL-II qui exprime une idée d'abondance ; nous retrouvons ainsi une de nos catégories (6). Il en sera de même pour bon, bien et beau qui dérivent d'une racine latine obscure DWENOS et de son dérivé DWENOLOS et finiront par désigner l'abondance, peut-être à cause de leur comparatif melior dérivé de la racine mel-ii. Citons en vrac les emplois suivants : tout beau, tout beau, Monsieur ! — avoir beau faire — c'est un beau coup (joli glisse aussi dans ce sens aujourd'hui, c'est un joli coup et péjorativement c'est du joli !) — la belle (au jeu = remettre cela) — de bon matin — de bonne heure (que, fait significatif, l’esp. traduit par un diminutif tempranito) — savoir une bonne fois pour toutes — et péjorativement il m'a donné un bon coup (= un mauvais coup). Tout comme tout beau, Monsieur ! il peut servir d'arrêt (bon ! bon ! la même chose avec bien, bien ! bien !) — je suis bien malade — je suis bien gai, etc... On constatera qu'ici encore ces trois particules balaient le champ opérationnel dans son entier en se délestant de leur contenu sémantique. On peut même les combiner, ce qui constitue un pléonasme diachronique : c'était bel et bien son mari.
TROP = ' entassement ' du francique *throp qui a donné troupe en fr. et troppo en it.
h) Ce dernier exemple met bien en évidence l'attraction des extrêmes et des contraires par assimilation de situation (nouveau dépassement). Au dépassement de l'intensif correspond aussi un dépassement du contenu sémantique, une perte de spécificité. Rappelons ici le trouble de Mendelssohn qui ne sait que penser de ses oeuvres parce qu'après l'audition d'extraits de celles-ci, ses invités et amis ne savent dire qu'une chose : Admirable ! Admirable ! Il aurait préféré une critique précise et constructive. Il en sera de même pour son contraire Abominable !
i) C'est aussi une perte de spécificité que connaissent les emprunts qu'ils soient faits à une langue étrangère (emprunts proprement dits) ou à sa propre langue (sens figurés et emprunts à des groupes plus restreints, corps de métier — milieux scolaires — armée, etc...)
Le passage du propre au figuré s'accompagne d'une intensification selon le schéma suivant, et ce, que le résultat de cette opération soit un mélioratif ou un péjoratif
INTENSIFICATION
Sens propre ---------------------------------------------------------------------------------> à Sens figuré
On aura de même
INTENSIFICATION
Langue prêteuse ---------------------------------------------------------------------------> à Langue emprunteuse
On peut rappeler ici l'exemple de stopper (cf. remarque f) et signaler les suivants :
Payer cash = Is (payer comptant).
Delikatesse (all.) = Is (délicatesse culinaire) ; on ne parlera pas de la Delikatesse d'une personne.
Ein italienisches Subjekt = Ipéj. (un sujet italien). Il faut ajouter que le genre neutre de Subjekt en ail. renforce le caractère péjoratif.
Ein ganz pénétrantes Parfum (ail.) = Ipéj. (un parfum pénétrant).
Situation (all.) = Is (Lage). En fait l'emprunt Situation est plus en pointe, plus momentané, plus sur la brèche que son faux synonyme Lage.
On emprunte également aux sciences et obtient ainsi, en publicité notamment, une plus grande force de frappe : lessive aux enzymes ; détergents activés et suractivés, etc...
j) Tout ce qui est étrange, curieux, inordinaire, extraordinaire, inaccoutumé, insolite, hors norme, énorme, etc., a une valeur intensive. La mode, l'exotisme et le snobisme toujours à la recherche du jamais vu, jamais entendu[2] 1, bref des extrêmes en sont très friands. Il en résulte souvent ces nouveaux sabirs que sont le « franglais » et le « fragnol ».
II. — La série horriblement, terriblement... vachement,
A. Approche.
Considérons les intensifs suivants :
Tuant, éreintant, écrasant, casse-pieds, féru d'histoire (étym* blessé), une méchante histoire, un méchant bonhomme, prendre le train en catastrophe, une victoire à l'arrachée, une tempête d'une rare violence, se tordre de rire, etc...
On constate qu'à partir du quatrième exemple (féru de), ces intensifs se dégagent de leur contenu sémantique et parcourent l'ensemble du champ opérationnel, mais cette fois, au départ, dans un sens contraire à celui de bon, bien et beau (cf. remarque g) ou de exquis dans la locution douleur exquise. Ces exemples et les suivants charrient une idée de douleur, d'horreur ou d'épouvanté et, à première vue, peuvent très paradoxalement se substituer à très et en partie à beaucoup.
Être horriblement malade ou gai
— férocement atteint — royaliste
— rudement malade — gai
— abominablement — — —
— atrocement — — —
— terriblement — — —
— fantastiquement — — —
— follement — — —
— surnaturellement — — —
— violemment pour — contre
— diablement malade — gai
— furieusement pour — contre
— farouchement — — —
— faramineusement malheureux — heureux
— affreusement — — —
— formidablement — — —
— passionnément amoureux — —
— frénétiquement — — —
— VACHEMENT malade — gai
Sehr krank oder frôhlich sein
J'emprunte le dernier exemple à l'allemand car il est édifiant. En effet, le mot sehr remonte au moyen haut-allemand sêr qui signifiait ' douloureux ' (cf. néerl. zeer doen, ' faire mal ' et all. versehren, ‘ blesser '). Cette intensification de sehr date comme le moyen haut-allemand des xne et xine siècles. Le cas est remarquable ; il nous permet de comprendre qu'à cette époque déjà et probablement de tous temps toute formule convoyant une notion négative de douleur, de mal, de peur et, à la limite, de violence et d'étrange pouvait s'en délester pour n'en retenir que la valeur limite, c'est-à-dire intensive.
On s'en étonnera moins encore à la lecture des intensifs suivants : à peine (avec peine, ce que l'espagnol rend par un pluriel apenas et, en en remettant a duras penas) ; une insolente tenue de route (publicité) ; c'est grave ! ; c'est vache ; c'est prodigieux ; oh, mon salaud 1 ; à en devenir fou, dingue ; effarant ! ; effroyable ! ; étourdissant ; éblouissant ; tordant ; renversant ; délirant ; désopilant ; exorbitant ; un bourreau de travail ; ça mon cochon (en ail.) ; Sauwetter (' temps de cochon '), mais aussi « ich fühle mich sauwohl » (je me sens « cochonnement » bien).
Ajoutons deux exemples de la publicité :
a) BIKINI ne figure pas encore dans le Petit Larousse de 1959, il figure par contre dans le Larousse 3 sous la forme suivante : « BIKINI n. m. (nom déposé). Maillot de bain en deux pièces de dimensions très réduites. » Il s'agit en effet d'une marque de fabrique de deux produits différents dont les libellés de dépôt sont reproduits ici. Personne ne songe plus à l'îlot de Bikini désigné dès 1945 comme le théâtre d'expériences sur les bombes atomiques ! Toute l'horreur que cela implique a disparu à ce point qu'on en fait même une fausse interprétation. Bi- est considéré comme un préfixe de dualité, et, l'accent étant mis sur le caractère réduit dudit maillot, on passe à « monokini ». En outre, la marque n'étant déposée qu'en France, le mot a été adopté partout ailleurs dans le monde comme un nom commun. C'est là la maladie que les « publicitaires » appellent la « kodakite ».
Il faut ajouter que vers les années 45-50 on disait d'une chose extraordinaire qu'elle était atomique ! ou pulvérisante ! (cf. encore aujourd'hui pulvériser tous les records). L'horreur se mémorise (cf. coup de Trafalgar), puis se dématérialise pour ne conserver que sa valeur intensive.
b) Oradour. J'avance cet exemple avec beaucoup de réserves car je n'en retrouve pas les documents. Il semble en effet qu'une fabrique de chaussures d'outre-Rhin, il y a quelques années, adopta cette marque et qu'elle dut y renoncer à la suite de protestations multiples. Si cela est vrai, il n'y a pas lieu de s'en indigner plus que devant l'adoption de Bikini. Dans les deux cas il s'agit d'horreur, mais d'une horreur oubliée à laquelle n'a été empruntée qu'une valeur intensive. Ne dit-on pas aujourd'hui en Allemagne sans jamais penser à Auschwitz ou à Treblinka Wir haben bis zur Vergasung darûber gesprochen !, littéralement nous en avons parlé jusqu'à l'asphyxie = jusqu'à plus soif, sans fin, à n'en plus finir, etc...
B. Conclusions.
Il est certain que la notion d'horreur, de douleur ou de mal charrie et convoie celle d'intensif. Cette connotation s'en dégage et prédomine comme une industrie annexe peut acquérir une importance primordiale au point de repousser dans le secteur secondaire celle dont elle est issue.
On pourrait à partir de ces constatations tenter une explication de vachement. Il faut pour cela partir du sens figuré de vache : « délateur ; traître. — Agent de la Sûreté : Mort aux vaches !... — sergent de ville : Vache à roulettes, agent cycliste... » (Dictionnaire des argots, Larousse, 1965 ; auteur : Gaston Esnault.)
Pensons à présent aux images de violences qui s'associent à la gent gardienne (passer à tabac, les cognes, etc.) et l'on comprendra que vachement au départ du sens figuré de vache ait suivi le chemin de la série horriblement, terriblement, etc...
Il faudrait bien entendu pour corroborer cette hypothèse faire une étude historique poussée qui d'avance me semble passionnante.
Remarques.
1) Cette série aurait pu entrer dans le cadre de la première approche et plus particulièrement sous la rubrique violence qui n'est qu'une abondance de force.
2) On pourrait essayer de prévoir, la publicité et la mode aidant, des intensifs du type : c'est canon ! — *c'est auschwitz ! — *c'est treblinka ! — e'est quelqu'un ! — c'est quequ'chose ! — *c'est estomaquant ! — *c'est bourreau ! — *c'est mini ! — *c'est maxi ! — *c'est enzyme ! — *c'est fracassant — *c'est hiroshima ! — *c'est nagasaki ! (cf. les « 7 jours Punch du B.H.V. » et, à Europe I, « Kad... » c'est la mode... terriblement mode...
C'est Kadmode.). On constate par des exemples comme ces derniers qu'on emprunte en chaîne, intensifie de même et aboutit à une force percutante décuplée. Enfin, si la mode du structuralisme durait on pourrait imaginer un *c'est struc !
3) Vachement était en passe de disparaître, était déjà démodé, lorsque, tout récemment, la publicité l’а repris dans le slogan « vachement frais » couronnant une vache aux pattes plongées dans des pots de yaourt. Du coup, le voilà relancé ; mais il reste phoniquement trop lourd pour se substituer entièrement à très. D'où, le raccourci une vache de prof., une vache de tarte. Il faut souligner le comportement de vache vis-à-vis du genre. C'est un véritable adjectif. Cette tendance est contraire à celle de espèce dont le féminin disparaît de plus en plus au profit du masculin (« un espèce de »).
4) L'éphémérité de vachement est d'autant plus étonnante qu'il recouvre tout le champ de très et une partie de beaucoup. Très intensifie des qualités, beaucoup des quantités. Vachement participe de l'un et de l'autre à la fois.
Exemples :
Je suis très, vachement ennuyé (*beaucoup).
Il ment beaucoup, vachement (*très).
J'ai beaucoup de livres (*très, *vachement).
Mais :
J'en ai beaucoup, vachement (*très).
Il tue vachement les lièvres (*très, ""beaucoup).
Mais :
II en tue vachement, beaucoup (*très).
Il faudrait poursuivre cette enquête afin de mieux cerner la nature de vachement.
5) Si vachement était définitivement accepté il deviendrait un outil aussi mobile et universel (au sens de pince universelle) que bien ou beaucoup.
6) II faut enfin insister sur l'intérêt de cette étude en ce qui concerne la diachronie restreinte ou « microdiachronie ». L'exemple de Bikini est assez éloquent. L'analyse de son évolution en vingt ans est un phare qui peut éclairer les zones les plus obscures de l'histoire des mots. Il faut se départir d'une certaine respectabilité et attaquer de front le langage qui se fait sous nos yeux, celui de la publicité et de ses influences sur les langues des hommes.
Extraits du Bulletin officiel de la propriété industrielle (communiqués par le Ministère de l'industrie.
Bikini
392.979. — M. p. des. des produits chimiques, drogueries, savons d'industrie et de ménage, substances pour lessiver, blanchir, nettoyer, teintures, substances a polir, cires et encaustiques, dép. le 15 juin 1946, a 11 h., au gr. du tri. de com. de Bordeaux (n° 43.360), par M. Negrat ( Henri ), 60, rue Berruer, Bordeaux.
Cette marque intéresse également les classes 14, 15, 32 et 33.
BIKINI
400.457. — M. p. dés. des produits chimiques pour l'industrie, la photographie, matières tannantes préparées, drogueries, fils et tissus de laine ou de poil; fils et tissus de soie; fils et tissus de chanvre, lin, jute et autres fibres; fils et tissus de coton; vêtements confectionnés en tous genres; lingerie de corps et de ménage; chapellerie, modes, plumes de parures, fleurs artificielles; broderies, passementeries, galons, boutons, dentelles, rubans; bonneterie, ganterie, mercerie, corsets, aiguilles, épingles; parfumerie savons, peignes, éponges et autres accessoires de toilette; conserves alimentaires, salaisons; produits pharmaceutiques spéciaux ou non, objets de pansements, désinfectants, produits vétérinaires, dép. le 26 juil. 1946, a 16 h. 30, au gr. du trib. de com. de Bordeaux (n° 43.424), par les Elablis. S.A.R.M.A. (soc. an.), 80, avenue Émile Counord, Bordeaux.
Cette marque intéresse également les classes 44 a 52, 58, 62 et79
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[1] En vrac, car il serait impossible d'analyser chaque exemple dans le cadre de cet article.
[2] Inouï couvre jamais vu et jamais entendu.
SOURCE
Citer ce document / Cite this document :
Sephiha Haïm Vidal. Introduction à l'étude de l'intensif. In: Langages, 5ᵉ année, n°18, 1970. L'ethnolinguistique. pp. 104-120 ;
doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1970.2031
https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1970_num_5_18_2031 consulté le 19/08/2021
Fichier pdf généré le 02/05/2018
H.-VIDAL SEPHIHA